Se reconstruire après l'emprise est possible et nécessaire pour ne plus se laisser manipuler par d'autres personnalités dominatrices, mais aussi pour rétablir des liens de confiance et de bienveillance avec soi-même comme avec les autres. Ce sont ces liens qui favorisent la santé mentale et physique. Comment procéder ?
Souvent, la victime, sortie de l'emprise, a perdu la capacité à prendre du recul par rapport à son ressenti, à ce qui lui arrive. Par exemple, Sabine décrit la peur que ses amies ne l'aiment plus si elles ne répondent pas tout de suite à son appel suite à une relation d'emprise. Elle est encore perturbée par les messages de son ex-compagnon, exprimant qu'il est toujours amoureux, qu'elle est la femme de sa vie. Elle a de la peine pour lui quand il dit qu'il ne peut vivre sans elle. Pourtant, il critiquait son physique ou celui de ses amies. Il ne répondait pas à ses appels, parfois pendant plusieurs jours. Il la rendait jalouse et lui mentait sans cesse. Il cherchait à diviser Sabine et ses amies pour l'isoler. Il la traitait d'incapable. C'était une drogue, car elle était devenue dépendante de lui. Elle avait perdu toute estime d'elle, toute confiance en elle suite à ses violences verbales et psychologiques. Sabine n'aime pas les conflits et a du mal à s'affirmer. Elle est devenue timide et réservée, alors qu'elle était une enfant, puis une adolescente pleine d'assurance et de confiance en elle.
La victime peut développer cette capacité par des exercices de pleine conscience : observer ses sensations, ses émotions, ses pensées, ses comportements, observer ceux des autres. Cette observation favorise la conscience de soi, de ses états, nécessaire pour reconstruire son identité mise à mal dans l'emprise. Est-elle dans un état d'insécurité ou de sécurité ? Est-elle en lutte, en train de se critiquer, de s'auto-saboter ou de vouloir tout contrôler ? Observe-t-elle qu'elle peut fuir ses ressentis en se centrant sur les autres jusqu'à s'oublier ? Fuit-elle un engagement relationnel ? Ou bien, perçoit-elle un état de figement qui la pousse à se replier, à baisser les bras, à être paralysée par la peur, la honte ou la culpabilité ? Ce sont les trois grands états de survie consécutifs aux violences subies durant l'emprise. Sabine a pu observer qu'elle a tendance à fuir le conflit ou à fuir ses émotions pénibles en faisant plaisir aux autres. Ou bien, elle se renferme chez elle, dans la peur et la honte.
La victime peut utiliser l'énergie de ses émotions pour se reconnecter à la vie, retrouver du plaisir, s'apaiser, poser ses limites. Les émotions sont de précieux alliés si la personne peut les percevoir positivement, les canaliser. Leur fonction est positive. C'est une soupape pour l'énergie bloquée dans le corps. L'émotion est un messager utile de nos besoins à satisfaire pour se sentir bien. C'est un révélateur de nos conflits intérieurs non résolus. C'est aussi une énergie pour agir dans le sens de la satisfaction de nos besoins. Sabine a pu se reconnecter à sa peur d'être seule, la situer dans l'estomac. Elle a pu l'accueillir en respirant dedans, en prenant du recul par rapport à la situation de non réponse de ses amies. Elle a imaginé sa meilleure amie l'encourager à s'écouter et à prendre du temps pour elle, pour se reposer, par exemple.
Souvent, les victimes durant l'emprise ont appris à s'oublier pour survivre. Elles ont dû nier leurs besoins au profit de l'agresseur. Cette négation a créé un état de frustration tel que des signes d'angoisse, d'anxiété fréquents se rappellent à elle pour retrouver la satisfaction. Mais, il s'agit d'apprendre à les décoder et à s'autoriser le bien-être interdit par l'agresseur dominant pendant l'emprise afin de se reconstruire. Sabine a pu dire "non" à une amie qui lui proposait d'aller boire un verre, alors qu'elle était fatiguée. Elle a penser à son besoin de repos et s'est autorisée à prendre soin d'elle. Elle a pu observer que son amie ne l'avait pas rejetée et que l'alternative proposée était acceptée.
La conscience de soi est un point de vue extérieur, comme une prise de vue d'avion. Elle aide la victime à ne plus subir les situation. Elle peut l'aider à trouver des ressources pour se rassurer, se sécuriser, s'apaiser. Avec ces ressources, la personne sort de l'impuissance apprise: physiques, psychologiques, relationnelles, émotionnelles, intellectuelles, spirituelles, ...etc. Sabine a repris le sport après la relation d'emprise. Il lui permet de sortir de son état de figement. Il l'a aidée à retrouver la satisfaction de se mobiliser avec plaisir, de se dépasser et d'accroître son estime d'elle, son sentiment de fierté. Elle s'exerce chaque jour à se rappeler des souvenirs positifs qui renforcent cette estime de soi, comme la réussite de son oral de fin d'études ou la réussite de son spectacle de danse à l'âge de huit ans. Elle avait à cette époque confiance en elle et n'était pas timide. Y repenser et l'imaginer lui procure du contentement, de la confiance dans le ventre, dans les épaules. Elle pense aussi à sa meilleure amie qui a de l'assurance et sait s'affirmer. Cela lui procure de la joie et de la fierté de s'imaginer dans sa peau. C'est un modèle pour elle, une ressource interne.
Le figement du corps et de l'esprit est la conséquence des violences psychologiques, verbales, physiques, économiques ou sexuelles subies dans la relation d'emprise. L'observation de soi, de cet état de figement peut être nécessaire si la victime a vécu des violences répétées et intenses, le harcèlement moral. Dans ce cas, elle a du se dissocier de son corps et des parties de son moi sont entrées en conflit entre elles. L'une de ces parties a pu s'identifier à l'agresseur et adopter le même discours négatif, critique, dévalorisant, culpabilisant. En prendre conscience peut aider la victime à dialoguer avec cette partie d'elle afin de trouver d'autres solutions pour résoudre les problèmes, car une fois sortie de l'emprise, la personne n'est plus en danger. Cette part d'elle vit dans le passé et dialoguer avec elle pour trouver une négociation, une alternative positive à ses comportements peut l'aider à reconstruire l'écoute de soi. D'autres parts d'elle peuvent entrer aussi en conflit avec la part agressive. Le moi observateur peut les identifier et les amener à collaborer à sa reconstruction. Adeline a vécu sous l'emprise de ses parents dominateurs durant son enfance. Dans sa relation actuelle, elle perçoit la petite fille en elle qui se sent abandonnée quand son compagnon part en voyage. Cela la pousse à fuir dans des crises de boulimie. Mais, une autre part d'elle critique ces réactions et refuse tout lâcher prise en imposant des activités constantes. Elle tente de négocier avec ces parts en conflit intense à l'intérieur d'elle afin de vivre plus sereinement l'absence de son compagnon par ailleurs bienveillant et compréhensif. Elle trouve des moments de plaisir à se balader, à câliner son chien, à lire et à écrire. Elle se planifie une journée aux thermes. Elle apprend à prendre soin de ses besoins d'affection, de créativité, de repos, de mouvement.
L'écoute de soi implique une reconnexion à soi, au corps. Sortir du figement consécutif à l'emprise nécessite une mobilisation du corps : se balader en pleine nature, faire du sport, s'étirer, s'octroyer des auto-massages, chanter sont des moyens parmi d'autres pour retrouver du plaisir et retrouver un lien d'amitié avec son corps.
Ce corps a été malmené durant la relation d'emprise, car l'agresseur a exercé des violences psychologiques dont le corps a la mémoire. Cette mémoire traumatique l'empêche de se relâcher, de trouver du bien-être. L'hypervigilance maintient le corps et l'esprit en contrôle par la sécrétion d'adrénaline et de cortisol, hormones du stress. La victime peut avoir développé une véritable phobie de ses sensations, de ses émotions ou de ses besoins par peur de revivre la souffrance liée aux agressions passées. Ou bien, le figement a endormi le corps, anesthésié par la sécrétion d'endorphines face aux violences.
Sortir du l'hypervigilance, de la tentative de contrôle permanent de soi ou des autres implique de rassurer la partie de soi en lutte. Identifier la peur, l'accueillir, puis prendre du recul par rapport à la situation et rassurer cette partie de soi que le danger est passé peut aider la victime à changer. Sabine a pu rassurer sa part blessée suite aux vides laissés par son ex-compagnon à ses appels. Elle a différencié la peur du passé des situations présentes où ses amies ne la rappelaient pas immédiatement.
Sortir de l'état de figement, c'est identifier également la peur de cette partie de soi impuissante et la rassurer également par une prise de recul vis-à-vis de la situation.
Dans les deux cas, les ressources du moi adulte peuvent renforcer la capacité de la victime à prendre du recul, puis à développer l'écoute de soi. Par exemple, elle peut penser à une personne sécurisante, apaisante et réconfortante croisée durant sa vie. Elle peut se rappeler ses paroles, ses gestes et laisser venir dans le corps les sensations, les émotions agréables que cela suscite en elle. Parfois, c'est un animal, quelque chose dans la nature qui peut être source de réassurance. Avec ce modèle, elle peut petit à petit (ré)apprendre à prendre soin de ses besoins, qu'ils soient physiques, psychologiques, ou spirituels. Sabine pense à son papa comme modèle d'estime de soi. Elle se rappelle les moments où elle l'accompagnait à son travail et en se glissant dans sa peau en imagination, elle en ressent fierté et joie dans la poitrine.
La psychothérapie EMDR peut aider la victime à renforcer son moi adulte et ses ressources pour se reconstruire après l'emprise. Pour en savoir plus, vous pouvez lire le dernier livre de Christine Calonne "Les victimes de pervers narcissiques, guérir le traumatisme" (éd. Ellipses, collection Récits et témoignages, 2022).
Si ce sujet vous interpelle, vous pouvez contacter Christine Calonne psychologue psychothérapeute à Namur et à Liège : +32 42 90 58 14.