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Perversion narcissique et traumas complexes : comment stopper la répétition ?

Le 03 novembre 2024
Perversion narcissique et traumas complexes : comment  stopper la répétition ?
Stopper la répétition des traumas complexes à l'âge adulte est possible, même si on a vécu l'emprise perverse narcissique. Cette répétition peut s'arrêter grâce à la co-régulation d'une personne-ressource, la reconnexion à ses propres ressources.

A. Les traumas complexes

Le stress post-traumatique complexe (SPTC) est un état de stress généré par l’accumulation de traumatismes depuis l’enfance. La définition du SPTC par le CIM-11 différencie le SPT et le SPTC. Le stress post-traumatique complexe répond à trois critères : une altération persistante du fonctionnement affectif (dérégulation des émotions), une altération du fonctionnement par rapport à soi-même (croyances négatives sur soi, sentiments de honte et de culpabilité), altération du fonctionnement relationnel (difficultés à maintenir des relations ou à se sentir proche des autres). 

Les traumas complexes résultent d'expériences de vie interpersonnelles, traumatiques, répétitives, parfois jusqu'à aujourd'hui. 

Hélène me consulte pour soigner un burnout au travail : fatigue, pleurs, angoisses, douleurs, trouble de la concentration, ...etc. Il résulte d'un harcèlement de la part de son patron. Elle est assistante en dentisterie. Elle angoisse et pleure tous les jours, la boule au ventre en allant travailler. Son patron est devenu harcelant dès qu'elle a signé son CDI, après lui avoir "vendu du rêve", en étant trop gentil. Il a commencé à la priver de pause à midi, à lui imposer des tâches pour lesquelles elle n'était pas compétente, à hurler sur elle, à la dénigrer ("tu ressembles à une porte de prison"), après lui avoir hurlé dessus. Si elle n'obéissait pas assez vite, il renversait des objets, par exemple, la poubelle et elle devait ramasser. Il lui imposait de plus en plus d'heures supplémentaires non payées. Mais, il refusait qu'elle conduise son mari à l'hôpital quand il était malade. Elle était robotisée. Elle devait tout faire, nettoyer, faire la comptabilité, stériliser, ...etc. Elle était figée, coupée de son ressenti, impuissante face à lui. Il lui téléphonait en dehors des heures de travail avec des listes de reproches. Il divisait l'équipe en montant les gens les uns contre les autres. 

Les traumas complexes se manifestent par des séquelles de préjudices, de négligences, d'abus émotionnels ou sexuels, d'abandon affectif de la part des figures d'attachement ou d’autres adultes. Cela peut être lié aussi à la maladie physique ou mentale d'un proche. Le stress post-traumatique complexe s'est construit durant des phases de développement où la victime était encore dépendante de ses figures d'attachement et où son cerveau n'était pas achevé. Le SPTC peut se répéter à l’âge adulte, suite à des expériences de harcèlement, à une agression sexuelle, à de la violence domestique, à un divorce violent, à un abus de confiance, à une escroquerie, ...etc. (« 100 questions/réponses  sur le psychotrauma », M. Hopchet et F. Detournay). C'est le cas d'Hélène victime de harcèlement de la part de son patron. Cette expérience répète son vécu d'enfance avec son père. Elle a pris conscience que cette expérience lui rappelait le comportement de son père dans son enfance. Il la frappait quand elle pleurait en disant "Ne pleure pas. Ce sont les faibles qui pleurent". Sa mère était aussi frappée. Hélène essayait de la protéger en les séparant. Son père ne voulait pas de fille et il la dévalorisait constamment. Ses parents voulaient faire comme tout le monde, avoir un enfant, une maison et un chien. Mais, ils ne manifestaient pas de sentiments, de réconfort, d'attention. Au divorce de ses parents, son père a vendu tous ses jouets, sans lui demander son avis, alors qu'il n'avait pas de problème d'argent. Elle a été vivre chez ses grands-parents qui ont été des figures d'attachements sécurisantes pour elle. 

Le plus souvent, si elle n'a pas reçu de soutien, la victime est bloquée dans le figement du corps et le sentiment d'impuissance. C'est le cas lorsqu'il y a eu une expérience de contrainte. La terreur, le sentiment de honte, de culpabilité, d'impuissance, de désespoir, est gelé dans le corps. Saturé d'hormones du stress, celui-ci a survécu par l'expérience de la dissociation traumatique. La personne est là sans être là. Son esprit est ailleurs, à côté de son corps, au-dessus, ...etc. Ou bien, elle est enfermée dans sa tête. C'est un mécanisme de protection important quand l'appel à l'aide, la fuite et le combat n'ont pas été possibles.

Le figement et la dissociation maintiennent la victime dans l’impasse de l’immobilisation si elle n’a pas découvert et pratiqué, entretemps, des ressources grâce à des expériences relationnelles de sécurité. L'expérience de Seligman qui a donné lieu au concept de l'impuissance apprise a démontré que si des chiens ont été enfermés longtemps et ont subi, de façon répétée, des chocs électriques, sans pouvoir s'échapper, ils manifestent cet état d'impuissance. Quand la cage s'ouvre, ils ne se mobilisent plus pour fuir.

De même, le système nerveux de la victime souffrant de traumas complexes est en hyper ou en hypo-activation. Le corps est très tendu, hypervigilant, soit anesthésié, dans l'impuissance, la dépression.

Peter Levine (« Réveiller le tigre ») décrit le cycle d’activation du trauma complexe ainsi :

Activation -> Echec de la tentative de fuite -> Expérience de peur et d’impuissance - > Figement et le cycle recommence -> Activation …

La dissociation est une expérience de mort interne où le corps se met en état proche de la mort par une respiration minimale, un rythme cardiaque lent, un corps immobile. C'est une façon de se cacher, de s'effacer pour se protéger d'une souffrance insupportable. « Faire le mort » est un mécanisme de défense présent dans les abus, les expériences de maltraitances psychologiques et/ou physiques répétées dans l'isolement.

Cette souffrance insupportable active la partie fuite du moi, par exemple, grâce à l'usage des addictions, comme les écrans, les drogues, les compulsions alimentaires ou sexuelles, ...etc. La victime ne sait plus dire "non". Parfois, c'est la partie combative qui la domine et la pousse à vouloir tout contrôler, explosant de rage si elle n'a pas ce qu'elle veut. Ou bien, elle se critique constamment. Quand la partie figée la domine, la victime s'efface en se repliant sur elle-même, pour ne pas être l'objet de nouvelles violences. Elle a peur de l' impuissance et de se percevoir à nouveau sans valeur. Cet effacement favorise la soumission apprise, similaire à l'impuissance apprise à force de répéter des expériences de contrainte du corps.

Peter Levine explique que l’inconscient cherche des situations similaires aux expériences traumatiques pour tenter de libérer l'énergie bloquée dans le corps grâce au combat, à la fuite. Mais, souvent, la victime n'a pas développé l'accès à des ressources qui puissent l'aider à faire face de cette façon. C'est ainsi qu'elle répète les expériences traumatiques.

L'individu au profil pervers narcissique repère ce stress post-traumatique complexe observable chez sa proie. Il observe le figement du corps, les états d'absence liés à la dissociation, l'effacement, le manque de limites ou d'estime de soi, la réaction excessivement positive ou négative face aux flatteries, à l'attention qu'il manifeste. Il repère la recherche de protection chez la victime souffrant d'impuissance apprise, ne sachant pas stopper ses tentatives d'envahissement de sa vie, ..etc.  Il utilise ces failles pour abuser de façon calculée, machiavélique, de sa vulnérabilité, l'exploiter, la détruire à petit feu, en alternant séduction et destruction, en usant de manipulation perverse. Celle-ci aggrave la confusion mentale de la victime. En effet, son insécurité l'empêche de percevoir les signes du danger et de fuir ou combattre. 

B. Comment stopper la répétition ?

L'expérience de Seligman n'est pas souvent décrite jusqu'au bout. En effet, il a tenté de mobiliser les chiens plongés dans l'impuissance apprise. Il a répété l'expérience de sortir et de rentrer dans la cage en les portant avec bienveillance et attention. Il a ainsi découvert qu'ils pouvaient se rétablir progressivement des chocs de l'expérience et sortir de l'impuissance apprise. 

De même, la victime qui souffre de cette impuissance apprise peut stopper la répétition si elle peut découvrir dans des rencontres bienveillantes, dans des activités positives pour elle un pouvoir sur sa vie grâce au soutien social.

S. Porgès a démontré avec la théorie polyvagale que l'expérience du lien social soutenu, sécurisant, apaisant peut rétablir le système nerveux en état de figement. La personne qui offre ce lien sécurisant, par son système d'engagement social, manifeste à travers son regard bienveillant, le ton de sa voix apaisant, sa gestuelle calme, une ouverture et un accueil soutenant la victime. Cette co-régulation peut se vivre grâce à la présence d'un animal ou de l'immersion en milieu naturel. Cela encourage la victime à se relier à elle-même et à créer à nouveau de la sécurité dans son corps. La confiance peut progressivement revenir grâce à cette expérience répétée, comme dans l'expérience de Seligman. Elle retrouve de l'énergie et la capacité à ressentir les émotions gelées dans le corps. Cette énergie des émotions lui permet de poser ses limites. La colère lui donne la force de (re)prendre sa place dans sa vie et de s'affirmer pour satisfaire ses besoins. Elle peut retisser des liens sécurisants et durables avec autrui petit à petit.

Dans cet état de confiance et de sécurité, la victime peut repérer les signaux de danger pour échapper à de nouveaux prédateurs. Son inconscient ne cherche plus à la replonger dans des expériences similaires aux traumas de l'enfance, car elle a la capacité à se mobiliser, à faire l'expérience de sa puissance intérieure. Elle trouve en elle la force de se connecter à ses ressources et de prendre soin de ses besoins. Elle régule de plus en plus aisément et rapidement ses émotions, plutôt que de rester dissociée de son corps.

La prise de conscience de ses états de figement, de fuite ou de combat, des sensations qui ont été gelées dans certaines parties du corps permet de prendre du recul. Cette observation permet d'identifier les émotions et de les apaiser grâce aux ressources reconnectées. L'identification, l'accueil de la colère facilite son expression dans des activités créatives, sur le plan émotionnel, physique ou imaginaire, par exemple. La victime peut apprendre à apaiser les peurs contre lesquelles les parties de son moi l'avaient protégées grâce aux ressources reconnectées. La psychothérapie EMDR et un coaching en thérapie polyvavagale facilite cette restauration de l'identité que plus personne ne pourra briser. Elle peut ainsi stopper la répétition de ses traumas.

En congé de maladie, Hélène a appris avec moi à renforcer son état de sécurité en s'exerçant à être ici et maintenant, consciente de son environnement, de ses sensations agréables. Elle a appris à se connecter à ses ressources intérieures en se remémorant des souvenirs apaisants. Par exemple, elle s'est remémorée une après-midi de pêche avec son mari, car elle aime la nature. Elle a ressenti sa boule au ventre se détendre. Entre les séances, elle imaginait un coffre dans lequel laisser aller ses souvenirs désagréables, par exemple, les hurlements de son patron qui la réveillaient la nuit en sueurs. Elle s'inspire des souvenirs avec eux et avec son mari, bienveillant, soutenant et positif avec elle pour se reconstruire. Elle ressent ainsi grandir la sécurité dans son corps. Elle perçoit la petite fille en elle triste, en colère se rétablir doucement, réconfortée par ces figures parentales substitutives. Sa gorge, son plexus et son estomac se dénouent. elle respire plus profondément. Elle peut maintenant poser ses limites à ses parents. Ils la culpabilisent de prendre de la distance "tu es une fille indigne de nous abandonner". Sa mère l'envie de prendre la décision de tout quitter pour aller vivre en Espagne avec son mari. Elle a reçu son C4 et a trouvé une maison qui lui plaît, mais sa mère lui dit "ta maison, tu ne l'as pas encore". Elle ressent la colère et elle recadre ses parents. Elle sort de l'impuissance et se sent fière d'y arriver, car elle ne veut plus plaire à ses parents. Ils ne se réjouissent pas de son bonheur, car ils ont passé leur vie à entretenir une relation violente entre eux. Déjà pendant la grossesse de sa mère, Hélène a absorbé tout ce stress et s'est sentie toute son enfance, toute son adolescence impuissante, dans la soumission apprise. Les neurosciences démontrent que les 1000 premiers jours d'une vie conditionnent de nombreux comportements. Aujourd'hui, elle a pu stopper à la répétition.

C. Contact

Si la problématique des traumas complexes vous touche, vous pouvez contacter Christine Calonne, psychologue psychothérapeute à Namur et à Liège +32 42 90 58 14. Vous pouvez, pour en savoir plus, lire "Les victimes de pervers narcissiques, guérir le traumatisme", éd. Ellipses, col. Récits et témoignages. Vous pouvez également lui écrire via le formulaire contact de son site.