Christine Calonne, psychologue psychothérapeute spécialisée dans l'aide aux victimes, a présenté sa conférence sur les violences conjugales et la médiation lors de la journée d'étude de l’UBMP (Union Belge des Médiateurs) le 20 mars 2024 à Namur.
Les violences conjugales se reconnaissent à une emprise psychologique exercée par un agresseur sur une victime dans un rapport d’inégalité. Il s’agit d’un processus de domination appelé par E. Stark « contrôle coercitif ».
Ce contrôle est réalisé grâce à des violences psychologiques, verbales, physiques, sexuelles ou économiques. Elles augmentent avec le temps à cause de l’effet de sidération qu’elles créent chez la victime, figée, immobilisée, dissociée de son corps. Elles visent à réduire la victime à l’état d’objet, déshumanisée, sans droits. La coercition permet à l’agresseur d’obtenir ce qu’il veut dans l’immédiat, grâce à la force ou à la menace d’utiliser la force.
Le contrôle consiste en un ensemble de stratégies visant à priver la victime de ses droit et de ses ressources. L’imposition de règles changeantes, complexes, contradictoires et imprévisibles maintient le contrôle, même après la séparation. C’est d’autant plus facile s’il y a des enfants car ceux-ci sont utilisés comme arme pour continuer ce contrôle coercitif, avec l’intimidation, le harcèlement, les menaces et les violences.
Stark compare le contrôle coercitif à une cage dans laquelle la victime est enfermée. Elle n’en perçoit que les barreaux et minimise l’effet cumulatif destructeur des stratégies de contrôle coercitif comme des violences.
Il constate que les intervenants sociaux et la Justice, non formés à la compréhension du phénomène, ne voient eux aussi que les barreaux et le minimisent également. Ils peuvent séparer complètement les violences conjugales des conséquences pour les enfants ou des effets post-séparation pour la femme comme pour les enfants. Une fois la cage ouverte, la victime reste dans cette impuissance apprise, car l’effet cumulatif des violences et du contrôle coercitif a inoculé en elle trop de stress, de façon prolongée et imprévisible. Son comportement est robotique, avec une soumission automatique : tête basse, épaules rentrées, évitant le contact visuel, s’effaçant et s’inclinant devant son agresseur. Ou bien, la soumission est partielle, défensive, visant à stopper ou à éviter la violence. La victime signale souvent qu’elle « marche sur des œufs » pour apaiser son agresseur. Elle réagit aux événements plutôt que d’analyser et agir. Elle manque de capacité à réguler ses émotions. Par exemple, elle s’exprime par des colères, des réactions de tristesse ou de peur, disproportionnées par rapport à l’événement actuel. Parfois, elle a tendance à ne pas ressentir une colère légitime à l’égard des comportements violents de son agresseur. Au lieu de la ressentir, elle retourne sa colère contre elle-même et la transforme en culpabilité. Ou bien, elle est dissociée et ne ressent plus ses émotions.
Des violences s'exercent durant l'emprise pour réduire la victime à l'état d'objet. Elles ont toutes le même effet destructeur, d'autant plus important qu'elles sont récurrentes et intenses.
1. Les violences physiques se manifestent par des giffles, coups, étouffement par étranglement, serrement des poignets, claquements de portes, la casse d’objets, l’usage d’une arme, l’excès de vitesse, la contrainte à boire de l’alcool, les cris, …etc.
2. Les violence sexuelles se manifestent par le viol conjugal (rapport sexuel non consenti), des pratiques non désirées ou des rapports sexuels après une violente dispute.
3. Les violences économiques ses traduisent par une persuasion à ne pas travailler pour affaiblir économiquement, contraindre à la victime à mendier le moindre sou, interdire l’usage d’un compte bancaire, surveiller les dépenses, …etc.
4. Les violences psychologiques apparaissent dans les humiliations comme tromper l’autre en public ou menacer de publier des photos de nu sur les réseaux sociaux, refuser de conduire la victime à l’hôpital ou chez le médecin, refuser le droit d’être malade, contrôler le choix des habits, des goûts, des relations, l’usage du temps et de l’espace, les pensées, les émotions, les valeurs. L’agresseur manifeste une jalousie pathologique ou fait des menaces de suicide pour intimider. Il isole la victime en critiquant son entourage ou en critiquant la victime auprès de l’entourage. Il refuse de donner de l’affection, de la tendresse pour punir et affaiblir. Il impose un silence radio, parfois pendant des semaines.
5. Les violences verbales : le chantage et la menace (ex. « Si tu parles à telle personne, c’est que tu ne m’aimes pas », «Si tu acceptes ce travail, alors je dirai aux enfants que tu ne les aimes pas »). La dévalorisation de la personne de l’autre (ex. « Tu n’imagines même pas comme tu as l’air conne »). La culpabilisation (ex. « J’ai raté mon interview à cause de toi »). La contradiction vise à avoir le dernier mot dans les conversations. Le déni est la non reconnaissance de la réalité des faits (ex. « Je n’ai jamais dit ça ! »). L’humour cynique est un humour agressif envers la personne de l’autre (ex. « Pauvre petite … »). L’accusation est le report de toute la responsabilité sur l’autre (ex. « A cause de toi, notre vie ensemble un enfer »). La retenue d’informations pour cacher ses intentions, ses pensées, ses émotions. La minimisation de la violence et la dramatisation des failles, erreurs de la victime à qui n’est pas accordé le droit à l’erreur. Les insultes. La mise en dette (ex. « Tu ne travailles même pas. Tu dois tout faire ici ! »). Souvent, elles suffisent à maintenir le contrôle de l'agresseur sur la victime, car celle-ci a peur de ses représailles et anticipe ses besoins pour avoir la paix.
Les facteurs sociaux, une éducation à la soumission et au sacrifice de soi, les facteurs religieux, familiaux, l’histoire de vie de chacun, sa personnalité, la représentation que la famille a véhiculé sur les genres.
On peut observer différents profils d’agresseurs, dominants et manipulateurs, mais ils ont en communs des traumatismes niés durant l’enfance, par exemple, le vécu d’abandon contre lequel lutter par le contrôle coercitif et le rejet des émotions.
De même, les victimes ont des traumatismes non résolus durant l’enfance, par exemple, un lien traumatique avec un parent abusif ou négligent. Elles peuvent souffrir déjà avant l’emprise d’un stress post-traumatique complexe les empêchant de reconnaître les violences et la manipulation : stress chronique, faible estime de soi, difficulté à s’affirmer, retrait social, évitements, troubles alimentaires, insomnies, troubles de la concentration et de la mémoire, relations instables, difficultés à réguler les émotions, …etc.
La séduction a une connotation manipulatrice, car elle vise à installer le processus de contrôle coercitif. L’agresseur repère les failles de la victime et s’y adapte. Il peut adopter le rôle de Sauveur si elle est en recherche de protection, d’aide. Il adopte le rôle de Victime si la victime est empathique et altruiste, protectrice. Il favorise une idéalisation réciproque comme une attention particulière, la mise en avant d’attributs de pouvoir, montrer des gestes protecteurs ou une fausse écoute, donner des conseils, envahir l’espace privé et psychique rapidement (effet hypnotique pour empêcher de penser). Ensuite, il verrouille la relation par un contrat explicite et implicite, comme par exemple, le mariage, l’achat d’une maison, l’induction du sacrifice de la victime afin d'installer l'emprise.
Il peut y avoir un cycle des violences : tension chez l’agresseur/peur chez la victime, ensuite explosion chez l’agresseur/sidération de la victime, puis justification de l’agresseur et culpabilisation de la victime, enfin lune de miel entre les deux (ex. Offre de cadeaux, flatterie, …). Ou bien, les violences s’accentuent sans effet cyclique : c’est le harcèlement moral du pervers narcissique.
Le contrôle coercitif opère dans une ambiance fusionnelle qui ne permet pas à la victime de prendre distance afin de la contrôler. Une fois le verrouillage installé, l’agresseur fait effraction psychiquement dans l’esprit de la victime par ses violences et un lavage de cerveau. Celui-ci se manifeste par un endoctrinement (l’agresseur sait ce qui est bon pour l’autre), l’usage de messages paradoxaux pour rendre l’autre confus (ex. dire une chose, puis le contraire, ou dire une chose et faire le contraire), le « gaslighting » ou déni des perceptions de l’autre.
L’agresseur conditionne la victime à la soumission grâce à des méthodes de persuasion coercitive comme la privation de sommeil, de nourriture, l’induction d’émotions comme la peur, la honte, un langage flou pour rendre l’esprit de la victime confus, un refus de réponse verbale ou émotionnelle.
Le contrôle coercitif vise à éteindre l’identité de la victime de manière à l’instrumentaliser et l’exploiter. Cette extinction ne lui permet plus de savoir qui elle est, quels sont ses besoins, ses émotions, ses limites, ses valeurs. Elle ne peut plus s’affirmer. A l’inverse, elle apprend à identifier les moindres désirs et besoins de l’agresseur afin de pouvoir l’apaiser, éviter des violences. Elle est réduite à l’impuissance à cause de l’effet des violences. Cette impuissance apprise a été observée par des recherches en laboratoire sur les animaux enfermés dans une cage, recevant des chocs électriques. Quand la cage, ils restent immobiles dans la cage. L’isolement voulu par l’agresseur affaibli la victime dans sa confiance en elle. La tolérance à la violence s’accroît avec l’effet cumulatif et l’intensité. L’inversion des rôles joue également un rôle. La victime se sent coupable et l’agresseur se sent victime. La honte liée à l’impuissance apprise contribue au maintien de l’emprise, comme la culpabilité. La victime peut rester sous emprise pour sauver l’agresseur de sa souffrance.
L’auteur des violences se victimise en inversant les rôles. En jouant le rôle de victime par ses plaintes, il peut instrumentaliser la médiation à son avantage et continuer à exercer ses violences sur la victime. Son déni de la violence, des faits, ses mensonges et son absence de culpabilité rendent le dialogue impossible. La négociation est dès lors un échec. Ce déni s’accompagne d’identifications projectives où l’agresseur fait vivre au médiateur comme à la victime ce qu’il ne veut pas ressentir en lui. Il n’est pas évident de pouvoir différencier les émotions, les sensations qui appartiennent à l’agresseur et celles qui appartiennent au médiateur. La séduction peut également stimuler les instincts protecteurs du médiateur, par exemple lorsque l’agresseur se plaint de ses malheurs, ou manifeste des regards charmeurs à celui-ci. L’exigence de neutralité imposée au médiateur peut avoir un effet négatif, puisque l’agresseur doit être confronté à ses responsabilités pour stopper ses violences. Cela peut également empêcher la victime de s’exprimer en étant en sécurité. La coopération entre la victime et l’agresseur ne peut se réaliser, par exemple s’il s’agit de garde d’enfants et de problèmes financiers à résoudre, puisque la victime en état de sidération ne peut exprimer ses émotions, ses besoins et ses limites. D’autre part, l’agresseur cache ses intentions, émotions et ses véritables pensées de sorte que la médiation est impossible. Céder la main en proposant une psychothérapie individuelle à chacun, ou entendre chacun en rendez-vous individuels est donc préférable.
Pour en savoir plus, sur le vécu des victimes et la guérison de leurs traumatismes, vous pouvez lire "Les victimes de pervers narcissiques, guérir le traumatisme", éd. Ellipses, col. Récits et témoignages ou 100 questions/réponses.
Si vous vous sentez concernés par l'emprise, , vous pouvez contacter Christine Calonne, psychologue psychothérapeute, par le formulaire contact ou par téléphone +32 42 90 58 14. Les entretiens sont possibles en visioconférence ou à Namur et Charneux en Belgique.