Avoir grandi dans une famille dysfonctionnelle rend-t-elle vulnérable à l'emprise à l'âge adulte ? Christine Calonne, psychologue psychothérapeute, tente de répondre à cette question. Elle propose des pistes pour transformer ses traumas et ne plus être victime de relations d'emprise.
La famille dysfonctionnelle a été longuement étudiée dans la recherche en psychologie ces dernières années. Selon David Olson, psychologue canadien, ce fonctionnement se caractérise par le manque de cohésion familiale et d'adaptabilité (1985).
Le manque de cohésion familiale se traduit dans le peu de force du lien parent/enfant. Ce lien est affaibli par des violences psychologiques, verbales, physiques ou sexuelles. Par exemple, le parent se moque si l'enfant souffre ou fait des erreurs : "Toujours aussi doué pour faire des bêtises, toi !". Ce parent se montre autoritaire, intrusif, avec un contrôle hostile de l'enfant. Par exemple, il s'introduit dans la chambre de l'adolescent de façon imprévisible, sans demander s'il peut entrer. Ou bien, la qualité du lien est fragilisée par des comportements négligents sur le plan émotionnel, matériel. Par exemple, le parent ne prend pas dans les bras, ne réconforte pas, ne veille pas à remplir le frigo. Le parent est absent, indisponible sur le plan psychologique ou physique. Par exemple, il est constamment rivé sur l'écran de son smartphone. Ce lien peut également être fragilisé par des comportements surprotecteurs du parent trop impliqué émotionnellement dans la vie de l'enfant, pris comme confident. Par exemple, le parent se confie à l'enfant au sujet de sa peur de faire faillite s'il est entrepreneur. Le parent met des limites floues, changeantes, ce qui insécurise son enfant. Enfin, il peut abîmer la qualité du lien par des comportements hyper-réactifs ou trop peu réactifs, par intermittence. Par exemple, il se fâche parfois si l'enfant pleure et parfois, il reste indifférent. Il est trop préoccupé par lui-même, dans l'insécurité constante.
La famille dysfonctionnelle présente aussi un manque d'adaptabilité. Il s'agit de la capacité d'une famille à faire face aux variations de l'environnement et à s'y adapter de façon fonctionnelle. C'est le cas, si un parent est traumatisé, psycho-rigide, peu ouvert au dialogue et peu confiant. Il se montre plus autoritaire que collaborant. Si des problèmes de communication existent au sein de la famille, l'adaptabilité est réduite. C'est le cas, s'il y a des secrets de famille, un manque d'identification des émotions et des besoins de l'enfant à cause de traumatismes non reconnus chez un parent. Celui-ci peut difficilement écouter, être ouvert, encourager, collaborer, soutenir, être attentif. La confiance en soi de l'enfant est affaiblie. Cette insécurité et le sentiment de ne pas pouvoir avoir de prise sur son environnement ne permet pas une bonne adaptabilité face aux changements.
Dans les deux cas, la personne, devenue adulte, risque de développer par insécurité des comportements de survie. Le cerveau reptilien, cerveau de la survie, active des comportements de lutte, de fuite ou de figement. La personne est dirigée par ses peurs, par exemple, la peur de l'abandon. Elle adopte le rôle de Sauveur dans la fuite ou le combat. Par exemple, fuir dans des dépendances, ou combattre par la critique constante, le contrôle hostile, la méfiance. Dans la fuite, elle anticipe les besoins de l'autre pour les satisfaire. elle ne veut pas risquer de perdre l'autre. Ou bien, figée, elle attend, dans le rôle de Victime, d'être sauvée. Un manipulateur répond à ses attentes dans un premier temps pour la séduire. Ensuite, il peut installer l'emprise, la dominer et l'exploiter.
L'enfant qui a grandi dans une famille dysfonctionnelle peut manifester, à l'âge adulte, des failles psychologiques, particulièrement le manque de confiance en soi, le sentiment d'impuissance apprise, le manque d'estime de soi.
Ces failles créent une vulnérabilité face à l'emprise, puisque l'agresseur peut repérer celles-ci par son observation préalable. Il s'y engouffre par sa maîtrise des techniques de manipulation. Il dit à la victime ce qu'elle veut entendre. Il la flatte. Il lui offre une fausse écoute, un soutien pour l'attirer dans les filets de l'emprise par son comportement de Sauveur. Ou bien, il se présente en Victime pour susciter le réflexe de protection chez un sujet empathique et altruiste. C'est ainsi qu'il crée une relation de domination où il exerce par alternance des violences afin d'affaiblir la victime. Elle devient dépendante de lui. Elle croit ne pas pouvoir vivre sans lui.
Si la victime a grandi dans une famille dysfonctionnelle, elle adopte souvent un rôle de Sauveur ou de Victime. Dans le rôle de Sauveur, elle se montre trop soucieuse de plaire à l'autre, de satisfaire ses besoins, à son détriment. Elle n'arrive pas à prendre sa juste place et manque d'assertivité. Dans le rôle de Victime, elle s'efface et se soumet trop vite à ses caprices ou à ses désirs. Une part de son moi est toujours dans l'attente de la satisfaction de ses besoins par l'autre, car elle projette sur lui le parent attentif qui lui a manqué. Elle est manipulable, car le manipulateur repère cette faille dans l'estime de soi et l'amour pour soi.
Hélène a fui une relation d'emprise qui a duré plus de 20 ans, car elle a grandi dans une famille dysfonctionnelle. Sa mère l'a conditionnée à ne pas ne pas s'affirmer pour ne pas déranger l'autre. Ce conditionnement l'a poussée à ignorer ses besoins, ce qui est bon pour elle. Par contre, sa mère lui imposait de satisfaire ses propres besoins. Hélène n'a pas confiance en elle, car sa parole n'avait pas de valeur aux yeux de sa mère. A 25 ans, elle allait chez le médecin avec sa mère et celle-ci parlait pour elle. Hélène était convaincue qu'elle était trop bête pour penser par elle-même, donc elle se soumettait à toute autorité. Elle n'arrivait pas à identifier et à exprimer ses limites. C'est ainsi qu'elle a grandi dans la peur du conflit, la peur d'être seul et rejetée. Elle a construit des croyances dysfonctionnelles comme "Penser à soi, dire non, c'est égoïste", "Etre en colère, c'est méchant". Ce conditionnement de l'enfance l'a amenée sous l'emprise de son mari, violent, dominateur et manipulateur. Elle n'a pas repéré la violence et la manipulation, car elle a grandi dans une famille dysfonctionnelle. La qualité du lien avec sa mère était inexistante. Comme elle a perdu son père à l'âge de 9 mois, l'emprise de sa mère n'a pas rencontré d'obstacle. Pour Hélène, le comportement de sa mère était normal. Mais, elle a développé un trouble de l'attachement insécure anxieux. Celle-ci l'a poussée à se centrer sur les besoins de l'autre jusqu'à s'oublier et se sacrifier pour son mari. Elle a dû fuir le domicile conjugal, car elle subissait des violences conjugales. Elle avait le sentiment qu'elle allait mourir si elle restait. Elle craignait de faire un infarctus, tremblante, épuisée, déprimée.
La psychothérapie EMDR et polyvagale a aidé Hélène à prendre conscience de l'emprise, de l'origine de ses comportements soumis et figés dans son enfance, sa famille dysfonctionnelle depuis plusieurs générations. Elle a acquis durant sa psychothérapie des ressources pour renforcer sa confiance en elle, son estime d'elle et son amour pour soi. Elle a progressivement déculpabilisé face à l'emprise de son ex-mari et elle s'est libérée de son impuissance apprise face à lui. Elle a réussi à couper tout contact avec lui pour rétablir sa santé physique et mentale. La désensibilisation en psychothérapie EMDR permet de transformer les traumas du passé (transgénérationnels, familiaux et conjugaux dans le cas d'Hélène). L'énergie bloquée dans le corps se libère, permet de s'affirmer et de poser ses limites. Elle aide la personne à rétablir sa capacité à vivre et à aimer. Hélène prend progressivement en compte ses besoins, ses limites. Elle écoute mieux son corps et en prend soin. Elle acquiert des capacités à devenir une mère suffisamment bonne pour elle. Elle met fin ainsi à la transmission transgénérationnelle des traumas depuis plusieurs générations. Ce travail sur elle-même améliore la relation avec sa fille, car elle se respecte plus elle-même. Cela renforce la qualité du lien mère/fille, car Hélène se sent plus en sécurité, plus apte à poser ses limites à sa fille. Elle aide ainsi sa fille à poser ses propres limites, notamment en regard de la violence de son père. Hélène se sent plus apte à s'adapter au changement, par exemple, le voyage de sa fille au Canada pour ses études. Elle l'anticipait comme une épreuve insurmontable. La psychothérapie EMDR lui a permis d'être plus à l'écoute d'elle-même et de ses besoins de manière à vivre plus sereinement ce départ.
Si ce thème vous interpelle, vous pouvez contacter Christine Calonne psychologue clinicienne et psychothérapeute à Liège et à Namur en Belgique : +32 42 90 58 14. Vous pouvez lui écrire sur le formulaire contact du site : https://www.psychotherapie-calonne.be/contact-psychologue-psychoterapeute.php.